L'Objet invisible, dessin
C’est, sans doute, avec Alberto Giacometti que j’ai le plus abordé les questions de l’histoire de l’art et du rôle de l’artiste. Dans les premières années de la galerie de mes parents, je faisais un peu tout. J’assurais notamment le lien entre Alberto et l’atelier Mourlot qui imprimait les lithographies pour mon père. J’allais souvent voir Alberto rue Hippolyte Maindron, j’y allais chercher les feuilles de « papier-report » sur lesquelles Alberto faisait les dessins qui deviendraient ses lithographies originales. Il dessinait sur un papier spécial, avec un crayon lithographique puis, j’emportais les feuilles chez Mourlot où le dessin était transféré sur une pierre litho. On tirait deux ou trois épreuves, des essais plus ou moins encrés. J’attendais ces tests puis les rapportais chez Alberto, il y apposait des corrections, parfois il décidait de ne pas faire le tirage. Je rapportais chez Mourlot les essais dont il était satisfait, alors le tirage total était réalisé. C’est moi qui devais ensuite lui faire signer chaque épreuve. Un jour, il m’a donné un tirage unique d’une gravure de L’Objet invisible avec au dos le dessin de L’Objet invisible. Fait avant la guerre, le cuivre était complétement oxydé : « Vois un peu si tu peux en tirer quelque chose » ; je suis allé chez Visat mais le cuivre était trop abîmé, il aurait fallu que Giacometti le retravaille, je lui ai expliqué et il m’a dit : « Tant pis ! ». Il m’a donné le premier essai avant qu’il n’ait corrigé la position des mains comme sur les deux autres épreuves. Il n’y a que trois épreuves de ce cuivre : une est au MoMA à New York, une a été vendue il y a quelques temps à la vente Gheerbrant et celle qu’Alberto m’a donné. Cette gravure ne m’a jamais quitté. Elle est unique et Alberto savait qu’en m’offrant cette épreuve, je saurais la garder, il a ainsi voulu me montrer la confiance qu’il mettait en moi pour l’avenir. Alberto était avec moi plein d’attention, il savait qu’il avait une forte influence sur moi, parfois, il n’hésitait pas à me pousser dans mes retranchements, quelques fois jusqu’à me faire pleurer. Il m’a appris l’exigence. Je crois qu’il aimait en moi cette envie de mettre les techniques d’impression au service de la créativité des artistes. Souvent, on allait prendre un café dans un bistrot, au coin de la rue d’Alésia, là, on discutait techniques de gravure, souci de la justesse d’un trait à reproduire, qualité du papier pouvant supporter un encrage léger comme un souffle.
Alberto Giacometti (1901 - 1966)
Aimé Maeght sera son marchand. C’est en 1951 qu’a lieu la première exposition de l’artiste à la Galerie Maeght à Paris. Alberto Giacometti en collaboration avec Aimé et Marguerite Maeght fera don d’œuvres exceptionnelles, des premières œuvres d’influence surréaliste jusqu’aux œuvres de la fin de sa vie dans les années 60. Ainsi, la Fondation possède la collection la plus importante de cet artiste en Europe, avec le Kunsthaus de Zurich et la Fondation Giacometti à Paris.